FLP MAG #27 – Le portrait du mois

Juliane Arnaud-Roussel, une passionnée de sa ville, d’histoire(s) et d’écriture

Du haut de ses 90 ans, les yeux pétillants et le sourire confiant, Juliane Arnaud-Roussel relate la Seconde Guerre mondiale à travers ses souvenirs d’enfance. Nous l’avions rencontrée au hasard d’une visite patrimoniale pendant laquelle elle avait spontanément partagé son témoignage. Frontignanaise de naissance, elle vit toujours dans la maison familiale où elle nous a gentiment accueillis pour cet entretien.

Les portraits de famille disposés avec amour sur la bibliothèque, les collections d’ouvrages anciens précieusement alignés, la lampe à pétrole de sa grand-mère trônant sur l’étagère, les fiers dessins d’un arrière-petit-fils au mur, autant de témoins des jours heureux qui laissent peu deviner ceux, plus difficiles, traversés par Juliane Arnaud-Roussel.

Elle a 5 ans lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. « Ma grande sœur et moi ne savions pas ce que c’était. Eh bien, nous l’avons vite compris. » Tout d’abord, les privations de nourriture, les tickets de rationnement : « Ma mère partait faire les courses dès l’aube et, malgré des heures d’attente, elle rentrait parfois bredouille et devait se tourner vers le marché noir. » Puis, la mairie qui collecte auprès des habitants les objets en cuivre sur ordre de l’Allemagne pour l’approvisionnement des usines d’armement… Scolarisée à l’école libre Sainte-Thérèse, elle garde aussi souvenir de l’hymne au Maréchal Pétain à l’arrivée en classe et des biscuits distribués. Durant deux mois, ses parents hébergent des réfugiés belges, et parmi eux, une dame apporte une boite émeraude contenant du chocolat que Juliane n’osera jamais goûter, par politesse. Aujourd’hui, le chocolat n’est plus mais la boite est restée. À partir de 1942, les plages sont investies par les troupes allemandes et la ville devient une zone militaire protégée.

Le père de Juliane est contraint de céder son cheval aux soldats. Un matin, elle croise à bicyclette un groupe de militaires allemands sur l’actuel plan des Fours. L’un d’eux lui donne des bonbons que sa grand-mère jette à la poubelle, de peur qu’ils soient empoisonnés. La guerre, c’est aussi la menace des bombes. Encore aujourd’hui, la sirène du premier mercredi du mois replonge Juliane dans l’angoisse. Dès que la sirène annonciatrice d’un bombardement retentit, il faut ouvrir les fenêtres pour éviter que le verre n’explose, se réfugier en garrigue ou dans les tranchées du parc Victor- Hugo et du square de la Liberté. Les parents de Juliane finissent par envoyer leurs filles dans l’Aveyron pendant quelques mois. Les deux sœurs furent ainsi épargnées du grand bombardement de Frontignan la Peyrade le 25 juin 1944. La maison familiale aura “seulement“ souffert d’une large fissure dans l’un des murs porteurs.

Juliane et sa famille apprennent la Libération à la radio. Sa mère trace elle-même un trait à l’arrière de ses bas, le long du mollet, pour imiter ceux offerts par les Américains arrivés à Frontignan la Peyrade et qui invitent les filles dans les nombreux bals organisés. Elle se remémore encore ces instants : « Au retour des prisonniers de guerre, on voyait à la gare de grandes embrassades, les cris, les pleurs des familles qui retrouvaient leurs proches. »

Juliane a connu une vie dense. Institutrice dans la Nièvre, elle a trois enfants et divorce à 26 ans, puis mène sa carrière de professeur de français à Pont-Saint-Esprit avant de se remarier. Elle adhère au Club 40 de la cité muscatière à la retraite et se trouvant soudain « tout encombrée de [s]es mains libres », elle s’adonne à sa passion de toujours : l’écriture. Elle remporte de nombreux trophées et accède à son rêve d’être publiée grâce à son livre Antoine de Joyes, premier prix d’un concours de roman des éditions Bord du Lot. Alors que la commémoration du 8 mai est proche et que les visites sur la ville pendant la Seconde Guerre mondiale reprennent, le récit de Juliane vient rappeler qu’il est plus urgent que jamais d’honorer la mémoire des disparus et de garder intact le souvenir de la guerre. Le discours qu’elle prononce après avoir soufflé sa 90e bougie en février est empreint d’espoir : en dépit des épreuves de la vie, d’une actualité sombre et de prophéties alarmistes, elle enjoint à ses arrière- petits-enfants de se faire confiance pour dessiner l’avenir de toute leur créativité et sensibilité.